Hélène Gold

Licenciée en lettres, docteur en médecine, psychiatre, elle a publié sous le nom d'Hélène Markich, dans diverses revues : Spirali ; Tel Quel ; l'Infini ; Petite ; Les Moments Littéraires et un livre Quitter Rome aux Editions MLD.

Sous le nom d'Hélène Gold, elle a écrit L'Inventaire, un scénario réalisé  par André S. Labarthe, intitulé Les Trois serrures (Arte, 1993). Ecrit et réalisé un film Objet du tableau, sélectionné pour la 6ème Biennale du Film sur l'Art. Deux voix accompagnent l'image : celle d'un homme, ce qu'il voit, celle d'une femme, ce qu'elle éprouve dans ce lieu où chaque objet semble prisonnier d'une présence. Avec Roland Bertin, Sociétaire honoraire de la Comédie-Française et d'Hélène Gold.

17  mn, tourné en 35 mm.

Biographie

Texte de Sylvain Durrleman

Hélène Markich-Gold (1923-2022)


Hélène est née à Paris en janvier 1923, dans une famille émigrée de Russie. Lorsqu’elle a 7 ans, elle perd sa mère qui s’est suicidée. Elle reste seule avec son père et son frère de 10 ans plus âgé qu’elle, avant que son père ne se remarie avec sa belle-mère que l’on 
pourrait qualifier de marâtre…
Hélène, jeune juive âgée de 17 ans en 1940 restera à Paris, semble-t-il, pendant toute la guerre. Comment s’est-elle protégée ?

Je ne le sais… Amoureuse d’un jeune homme, un agrégé de philosophie, qui entre dans la résistance. Capturé et hospitalisé, puis évadé de l’hôpital, ce jeune homme sera repris, puis déporté et assassiné à Auschwitz. Nul doute que ces drames de son enfance et de sa jeunesse aient laissé leurs traces chez Hélène - cette mélancolie parfois, sublimée par sa sensibilité artistique, son goût et son talent pour la poésie et l’écriture - et masquées par une grande pudeur, elle n’en parlait jamais.


Après la guerre, elle entreprendra des études de médecine, au cours desquelles elle rencontre et se lie d’amitié avec Francine (1). Elle rencontre aussi Max dans un milieu d’émigrés slaves à Paris qui avaient survécu à la guerre (2). Elle l’épousa dans les années 50, Francine et Alex seront leurs témoins de mariage à la mairie du 5ème arrondissement. Hélène termine ses études de psychiatrie. Max fait partie du groupe d’artistes dit groupe de Marolles, avec notamment le peintre Guy de Vogüe. C’est à cause de Marolles que Hélène et Max, souvent accompagnés de Francine et Alex, sillonneront la région du Loiret et des bords de Loire avant de trouver la propriété de Chaingy, où Hélène va créer sa clinique de psychiatrie. Hélène en est le médecin-chef, Max le régisseur (tout en continuant la poterie). La psychiatrie est surtout pour Hélène un métier, sa vraie passion est ailleurs. Au fond, peut-être Max était-il plus intéressé qu’Hélène par la psychiatrie… ?

Maniek (le vrai prénom de Max), est né en décembre 1912 à Augustow, en Pologne, dans une famille juive, il vient en France en 1937 pour faire des études d’archéologie. Elles sont interrompues par son engagement volontaire en 1939. Jeune homme au physique de rugbyman, plusieurs fois prisonnier puis évadé, échappant aux rafles, il parvient à rejoindre l’Espagne en mars 1943 en traversant à pied les Pyrénées.

 

1 Il s’agit de Francine Mallat, présente aujourd’hui à Beaumont.

2 Hélène a été très amie avec le linguiste Jean-Elie Boltanski, dont le père, lui aussi Juif d’origine russe, est resté caché pendant toute la guerre dans son appartement de la rue de Grenelle. « Objet du Tableau » est dédié à Jean-Elie Boltanski.

De là, il rejoint la Tunisie où il s’engage dans les Forces Françaises Libres, dans une unité de la Légion étrangère, la 13e Demi-Brigade de la Légion étrangère (3). Avec cette unité, Max débarqua à Naples, participa à la campagne d’Italie et aux batailles de mai-juin 1944. Le 16 août 1944, ces troupes seront parmi les premières à débarquer en Provence, à Cavalaire, et remonteront ensuite la vallée du Rhône, puis participeront aux combats dans les Vosges et jusqu’à Colmar en janvier 1945 (4).


Le 18 juin 1945, Max défilera avec la brigade sur les Champs-Élysées avec le Général de Gaulle. Son parcours militaire lui valut plusieurs décorations, dont la croix de Guerre. Parcours exemplaire et courageux de ce jeune immigré au service de la liberté !

Les derrières traces qu’il a de sa famille sont deux cartes écrites en février et en mai 1941 de Bialystok par ses parents et son frère Liouzik (dit Ilia). Max a toujours gardé avec lui ces deux cartes, retrouvées après sa mort par Hélène, et traduites alors avec l’aide de Francine. Ses parents écrivaient en russe, son frère en polonais. Augustow et Byalistok sont deux villes aux confins de la Pologne actuelle, près de la Lituanie et de la Biélorussie, à l’épicentre de ce que l’on a appelé les « terres de sang », ces territoires où des millions de civils ont péri dans les années 30 et 40, victimes de la terreur soviétique et de la barbarie nazie. En 1939, Byalistok, ville polonaise, est d’abord occupée par l’armée allemande, puis remise rapidement aux soviétiques selon une clause secrète du pacte germano-soviétique. En juin 1941, à peine quelques semaines après que ses parents ont écrit ces cartes à leur fils, débutait l’opération Barbarossa, l’invasion de l'Union soviétique par les troupes de Hitler et la mise en place des politiques racialistes. Dès juillet, cinq-cents Juifs, hommes, femmes et enfants, sont enfermés dans la synagogue de la ville et brûlés vifs. Et en août 1941 commence l’extermination totale des Juifs de Byalistok (5).

Plus tard, Hélène écrira dans Objet du Tableau : « le russe, le polonais, il disait l’avoir oublié… ».
Max avait deux frères. Son frère ainé de plus de 3 ans, se noya lors d’une promenade en barque sur un lac, seul avec Max alors trop jeune garçon pour le secourir… Son frère Ilia fut incorporé dans l’armée soviétique en avril 1941. Il aurait survécu à la guerre, travaillant après 1945 dans une usine de céramique à l’est de la Russie… Max ne parlait jamais de la guerre ni de sa famille.

Des cicatrices de l’âme, trop douloureuses sans doute…


3 La 13e DBLE avait remporté la première victoire alliée de la guerre à Narvik en Norvège, puis avait rejoint Londres après le 18 juin 1940. A la demande de De Gaulle la moitié de la brigade (=demi-brigade) a alors gagné l’Afrique du Nord où elle s’est illustrée contre les troupes de Rommel à El-Alamein, Tobrouk et Bir-Hakeim.

4 En lui décernant la croix de la Libération le 6 avril 1945, De Gaulle dira de la 13e DBLE qu’elle était « un des pôles d’attraction les plus prestigieux autour duquel se sont groupées les premières forces françaises pour la libération de la patrie ».

5 Depuis le XVe siècle et jusqu’en 1939, la population de Byalistok était composée aux trois-quarts de Juifs. Ils seront pratiquement tous exterminés durant la Shoah.

Je laisse maintenant la parole à Hélène : 


L’œuvre de Max Gold est restée secrète. Il était potier. En plus des poteries, il laisse une pièce où durant 30 ans une sédimentation d’objets a envahi l’espace devenu lui-même un ouvrage singulier dont aucun élément ne peut être arraché à l’ensemble, pas plus qu’une tache coloriée à l’œuvre d’un peintre. On y entre comme dans un tableau.
Après la guerre, il reste en France où il exerce divers métiers, avant d’apprendre la poterie. En 1950, il rejoint un groupe d’artisans à Marolles près de Blois. Il le quitte quelques années plus tard. Il continue la poterie en ayant des fonctions dans une clinique de la région. Nous habitons un appartement mansardé construit au dessus de ce qui a pu être un ancien garage et deviendra « la pièce ».
J’ai voulu à sa mort, en avril 1990, la fixer par l’image, film ou livre. J’ai eu longtemps le souci d’assurer la pérennité de la pièce, là où elle pourrait être reconstituée en complicité avec un architecte.
L’éventualité suggérée de son transfert dans un lieu qui me déplaisait m’a impérieusement poussée vers Beaumont. Cette maison était aussi une création de Max Gold. Dans un espace plus grand que celui de la pièce, des objets du passé, sortis de l’oubli, reprenaient vie. Il avait acheté à la commune de Cravant, les pierres du muret qui entourait la mare située devant l’école des filles. Deux faces de la maison, à présent, sont longées par un muret. Assis l’été en fin de journée, sur ses pierres chaudes, on peut voir 
l’espace du parc où la pièce serait reconstituée. Dans cette pièce, de la Pologne, on y trouve une carte de sa région achetée à Blois chez un antiquaire, un diplôme de fin d’études avec sa photo, les cartes de ses parents postées de Bialystok, le texte d’une chanson traduite de mémoire, dont je retiens quelques mots :
« La malachite des steppes » et encore : « Adieu mes très chers » !

Hélène dira : « La malachite des steppes » m’a longtemps poursuivie. C’est à propos de la chanson Yablotchka :

« Oh ! de cette chanson jusqu’à ce jour s’en souvient certainement la malachite des steppes ».


Dans les paroles de la chanson, on lit :


Adieu mes très chers
Je reviendrai, si Dieu le permet…
Et le cheval s’est lassé de cavaler sur la steppe
Mais « Yablotchka », l’escadron 
La jouait toujours sans répit,
Sur le violon de ce temps
Avec les archets de la souffrance


Assurément, cette poésie fait voyager dans un imaginaire slave, et l’allitération est très belle, mais je me demande pourquoi Hélène avait été tant marquée par « la malachite des steppes » ? Le nom vient du grec ancien « malakhè » qui veut dire « mauve », car la couleur de la malachite évoquerait le vert profond des feuilles de la mauve. Et tout à l’heure, Hélène sera inhumée auprès de Max à Beaugency, dans ce pays des Mauves où ils ont vécu tant de belles années ensemble.


En écrivant ce texte, je réalise que je suis à mon tour saisi par la puissance évocatrice de la malachite des steppes...

Pour les Égyptiens, la malachite était un symbole de la renaissance, de la jeunesse éternelle et de la vie après la mort. 


Pour terminer, je voudrais vous lire la dernière page du petit livret de Objet du Tableau :


Il prend La petite chronique d’Anna Magdalena Bach, le dernier livre que Max Gold lisait, resté au-dessus de la pile. Il lit à voix haute, et de plus en plus basse : « Ayant poussé la porte j’entendis quelqu’un jouer et des sons si merveilleux sortirent soudain de l’obscurité qu’un archange me sembla être assis au clavier. Je me glissai tout doucement à l’intérieur et restai là. »

Le jour est presque tombé. Il lit une dernière phrase :
« Alors ma vie commença… »

 

Lu le 3 juin 2022 à Beaumont aux funérailles d'Hélène Gold

Photo de Pierre Poitevin